Ne rien faire, c’est laisser faire…
31 décembre 2009
Avant tout, meilleurs voeux à toutes et à tous pour 2010.
Ensuite, bonne lecture et bonne réflexion...
S’engager pour servir, est-ce toujours d’actualité ? Les personnes désireuses d’animer la société civile sont de plus en plus rares, semble t’il. Crise de l’individualisme ? Refus des responsabilités ? Peut-être manque d’innovation simplement pour accompagner la nouvelle donne sociale, économique et politique.
Chacun doit se poser un jour ou l’autre le problème de l’engagement personnel. La liberté se mérite ; dans une société de libertés, on ne peut être simple spectateur, il faut être acteur, pionnier et entrepreneur.
Les pires catastrophes pour l’humanité se sont produites au XX ème siècle dans un climat d’indifférence, d’ignorance paresseuse et de démission. Ceux qui savaient et pouvaient réagir ont choisi de ne rien faire.
Ne rien faire, c’est laisser faire, le neutralisme qui n’est qu’absence de conviction et le scepticisme qui n’est que démission devant les défis, étaient de mise à l’époque et les choses n’ont guère changé depuis lors.
On peut alors s’étonner devant les difficultés à trouver des hommes et des femmes disposées à prendre des responsabilités durables.
Sans doute le potentiel de générosité, d’altruisme et de services des êtres humains est-il toujours visible.
Contrairement à ce que disait Hobbes, l’homme n’est pas un loup pour l’homme et c’est tant mieux. Les élans de solidarité constatés à l’occasion de grandes catastrophes naturelles comme le tsunami ou de grands rendez vous humanitaires comme le téléthon, ou de campagnes mondiales contre les handicaps, et notamment la cécité, attestent de la volonté de se dévouer été de soulager les misères physiques et morales, et de rendre à l’homme affaibli ou exclu toute sa dignité. Mais on peut aussi remarquer que ces gestes de service, pour être spontanés et méritoires, sont ponctuels et que les mêmes personnes prêtes à « donner un coup de main » occasionnellement acceptent plus difficilement de s’affilier à quelque œuvre, club ou association impliquant un engagement et des obligations sur une plus longue période. La désaffection des citoyens se marquent par des taux d’abstention croissants, tandis que décroit le crédit accordé aux partis et aux syndicats
Y aurait-il une crise de
l’engagement, un syndrome du papillon ?
Dans le débat, il a été souligné que le rythme de la vie
familiale a été modifié par l’entrée croissante de la femme dans la vie active,
une évolution saluée comme un grand progrès à bien des égards. Hommes et femmes
sont de moins en moins disponibles pour leur vie de couple et pour leurs
enfants. Il faut donc compenser et en particulier renoncer à affronter des
soirées et à fortiori des journées entières à des actions de services.
Les loisirs, voilà aussi des concurrents dangereux qui occupent un temps croissant, non seulement des seniors mais aussi des jeunes ménages. C‘est bien souvent dans les week-ends de loisirs ou les semaines de vacances que la vie familiale se reconstitue. Mais se reconstitue aussi une convivialité : les amitiés se nouent et se cultivent entre personnes qui pratiquent les mêmes loisirs. Mais, de la sorte, les agendas se remplissent progressivement, et la disponibilité se réduit. On remarquera aussi que les loisirs portent à l’insouciance et au plaisir immédiat. Carpe diem.
Le Carpe diem est aussi l’exutoire de la tension professionnelle. Dans un contexte économique de concurrence élargie, l’innovation, la vigilance, l’effort absorbent une énergie considérable. Chez les jeunes, elles requièrent aussi un temps précieux : pas de disponibilité à la fin de journées de travail déjà très lourdes, pas de possibilités de s’aligner sur l’agenda des retraités. Dans ces conditions, on conçoit la réticence non seulement à donner beaucoup de son temps, mais aussi à prendre des responsabilités qui se surajoutent à celles que la vie économique impose.
Les problèmes évoqués jusqu’ici dans le débat concernent apparemment la gestion du temps, et l’arbitrage que les personnes doivent faire entre leur famille, leurs loisirs, leur travail et un nouvel engagement. Mais certains évoquent aussi « le repli sur soi. Tocqueville était très pessimiste pour l’avenir de la société civile parce qu’il estimait que la diffusion du progrès économique et de la connaissance aboutirait bientôt à donner aux individus le sentiment qu’ils savaient et qu’ils pouvaient tout, de sorte qu’ils en oubliaient progressivement les autres, et que leur seul propre point de vue les intéressait. A l’époque actuelle, on dénonce aussi la technique et l’éducation. La technique permet aux individus de s’isoler, y compris au sein de leur famille : le mari est devant son ordinateur, les enfants devant le téléviseur, la mère discute au téléphone (est-ce caricatural ?). Quant à l’éducation, elle n’insiste pas beaucoup sur le civisme ni sur la morale. Les mouvements de jeunesse n’ont pas beaucoup résisté à la civilisation des loisirs et aux mystères des calendriers scolaires. « La bande » n’est pas une école de solidarité, mais de mimétisme et de grégarisation.
Ces tendances au repli sur soi et à l’individualisme
trouvent aussi leur aliment et leur alibi dans l’existence de l’Etat
Providence. Au fond, est-il utile de s’engager pour les services qui sont
aujourd’hui garantis par les administrations publiques ? S’il y a des
pauvres, des malades, des handicapés, c’est à l’Etat de s’en occuper ; on
paye assez d’impôts et de charges sociales pour cela. Ceux-là même qui ont
encore la volonté de servir leur prochain voient leurs moyens financiers fondre
sous les assauts de la redistribution forcée. Les gens de l’Etat prétendent au
monopole du cœur, ils vivent de sa substance la solidarité privée et spontanée,
et lui substituent une solidarité publique obligatoire qui finalement a créé
« les nouveaux pauvres ».
Vous courrez derrière le temps, mais prenez vous le temps de vous arrêter et de vous donner quelque recul pour distinguer l’essentiel de l’accessoire, pour vous interroger sur le futur de votre famille, de votre profession, de votre environnement ? Le nez dans le guidon, mais pour aller où, Où en est votre projet de vie personnelle ? Vous le savez, pour épanouir votre personnalité, vous avez besoin d’une relation aux autres, d’une découverte des autres, les trouvez vous actuellement ?
Dans ce débat, je reste cependant optimiste parce que je crois que l’esprit de service est dans tous les cœurs et tous les esprits. Le problème est d’éviter les pièges, ou de leur trouver une parade. La gestion du temps, cela s’organise ; il faut décaler les agendas, assouplir les calendriers. La concurrence de la famille été des loisirs, on peut la neutraliser en associant la famille à l’engagement, en la faisant participer au service, et en installant une convivialité de qualité, fondée sur le partage de valeurs communes et le respect des individualités. Quant au développement de l’esprit de service, il implique une éducation de la jeunesse, à laquelle on doit offrir les repères moraux indispensables à l’épanouissement personnel et à l’harmonie de la communauté.
Ces innovations auront d’autant plus de chances de succès
que l’environnement institutionnel sera changé. Il joue aujourd’hui dans le
sens de l’irresponsabilité, du nihilisme. Il dresse des obstacles de plus en
plus infranchissables à l’initiative personnelle. Les deux systèmes de la
protection sociale et de l’enseignement laminent les individualités, préparent
à l’incurie et à la grégarisation. Mais les institutions ne sont que les fruits
de l’action humaine. L’expérience révèle les erreurs, mais nous incite aussi à
de nouveaux essais.
S’engager, c’est
essayer, essayer encore. Ne jamais subir mais agir. Il est
sans doute bien temps. Il est aussi grand besoin de pionniers, capables de
montrer le chemin à une société qui basculerait sans cela dans le désespoir, la
peur et la violence.
Ce que nous défendons, ce n’est pas un royaume, mais une société de libertés fondée sur la solidarité volontaire, le service mutuel et la responsabilité.