Décentralisation ou
déconcentration ?
Quel équilibre
entre le pouvoir central et les collectivités territoriales ?
La tradition
française est celle de la centralisation : la République,
« une et indivisible
», a nourri le jacobinisme en son sein,
et les Girondins ont été éloignés du pouvoir.
Paradoxalement, des
couches de collectivités locales se sont déposées au fil des années, jusqu'à
créer le fameux « millefeuille » que l'on trouve indigeste aujourd'hui : 7 ou 8
niveaux d'administration nationale, auxquels s'ajoutent les strates européennes.
Sans nul doute, à l'occasion
des prochaines élections, tant locales européennes, des débats feront une large
place au problème de la décentralisation.
Je vais me faire successivement
l'avocat de la simplification administrative puis celui de l'autonomie locale,
mais je pense que le vrai problème de la décentralisation est ailleurs.
Détruire le
millefeuille.
Ce n'est pas seulement le
nombre des échelons administratifs qui est en cause, mais l'extrême complexité
de leur articulation.
Un préfet régnant sur un
département et présidant le conseil général : pas assez démocratique.
Donc, il faut un conseil
général autonome et présidé par un élu. Oui, mais les fonctionnaires de la
préfecture n'ont pas disparu, et ceux du conseil général sont venus en doublon.
36 000 communes, on trouve
que c'est bien trop, et la loi Chevènement a pris le taureau par les cornes en
créant les communautés d'agglomération.
Oui, mais les communes n'ont
pas disparu pour autant.
La loi Defferre a cherché à
répartir les attributions entre états, régions, départements et communes.
Oui, mais les
compétences se chevauchent et l'État confie aux collectivités locales des
missions supplémentaires sans qu'elles aient reçu pour autant de nouvelles
ressources.
Demeurent enfin
au niveau de la région du département quantité de structures directement sous
les ordres du ministère.
C'est tout cela que l'on met
en accusation quand on demande le démantèlement du « millefeuille », regroupant
les collectivités locales et supprimer un ou plusieurs niveaux
d'administration.
Concentrer pour
économiser ?
À contre-courant de la mode
actuelle, les Alsaciens ont rejeté le référendum unissant leurs deux
départements.
Comme d'autres citoyens
français, ils se disent attachés aux particularismes locaux.
Ils ont pour voisins des
Allemands dont l'organisation administrative est complexes et variée, et où les
initiatives des communes et des régions sont plus nombreuses, plus libres et le
poids de l'administration fédérale plus léger.
La diversité et la
concurrence sont des arguments de nature à compenser les « économies d'échelle
» que l'on ferait avec un schéma plus centralisé, en réunifiant les entités.
Car lorsque se creuse la
distance entre le citoyen et l'administration, la dérive fiscale apparaît bien
vite, faute de contrôle des dépenses par les contribuables locaux.
La bureaucratie se
développe aussi avec le centralisme, et le coût des services publics et des
charges ne cessent de s'accroître.
Y a-t-il un niveau
de décentralisation optimale ?
Les travaux menés sur les
indices de décentralisation fiscale ont placé la France en avant-dernière
position en Europe ; le top européen est évidemment celui de la Suisse.
Mais il est il est
également montré que le niveau d'imposition est plus faible dans les pays où
ceux qui est ordonnancent la dépense sont aussi ceux qui décident de l'impôt.
C'est exactement le
contraire du système français où les ressources locales viennent
essentiellement de l'État (dotation globale de fonctionnement ou d'équipement),
tandis que les dépenses sont décidées par les autorités locales.
Le niveau optimal, c'est donc
celui de l'espace politique où les contribuables ont le contrôle des dépenses
publiques.
Dès que l'espace politique
s'élargit, on se trouve nécessairement en dessous de l’optimum.
La défense des
libertés locales.
Dans l'ouvrage intitulé
Finance et libertés locales de M. Gérard Bramoullé, il insiste sur le lien
entre liberté personnelle et libertés locales.
L'homme libre a en effet
besoin d'un environnement où il peut trouver son plein épanouissement.
C'est la cellule familiale
qui remplit principalement cette fonction. Mais il y a l'environnement des
amis, des relations, des diverses communautés auquel on appartient et dont on a
besoin.
La commune est une
communauté, comme son nom l'indique, et il est légitime de la laisser vivre, au
lieu de vouloir l’englober dans des ensembles administratifs anonymes et lointains.
L'idée de la
péréquation entre communes, des communautés d'agglomération, ou des métropoles,
est perverse, parce qu'elle efface toute compétition, mais aussi toute fierté.
Et ceux qui
gèrent le plus mal, sont les moins attractifs, les plus endettés, se trouvent
subventionnés par ceux qui ont tout fait pour maintenir leur ville ou leur
village en bon état.
Subsidiarité et
collectivisme municipal.
Ainsi le fond du problème
est-il celui de la liberté personnelle et de la capacité des hommes à s'auto
organiser.
Le jacobinisme centralisateur
est à l'opposé du principe de subsidiarité.
La subsidiarité suppose que
l'on commence à régler les problèmes de la cité au niveau de la communauté, au
sein de la société civile, et que l’on ne se tourne vers la puissance
politique qu’en cas de nécessité, et au
sein de la puissance publique que l'État soit l'ultime recours, subsidiaire de
toutes les autres cellules sociales.
Tout au contraire, il est
dangereux de voir les communautés locales tomber sous la coupe de l'État et du
pouvoir central.
La forme que prend
la décentralisation en France a été le plus souvent celui de la
déconcentration, c'est-à-dire du rapprochement de l'État des collectivités
locales pour mieux les contrôlait et les asservir.
Ainsi l'État
a-t-il imposé les règles d'urbanisme, logement, d'environnement, de sécurité,
d'enseignement.
Comme pour
couronner l'édifice, la réglementation européenne se surajoute et se développe
rapidement.
Les édiles
municipaux sont eux-mêmes emportés par un vent de dirigisme et de
collectivisme.
Il se croit
bâtisseurs de leur ville quand ils en sont souvent les fossoyeurs. Ils
inaugurent piscine, tramways, stades et crèche au bon moment : il se coupera
beaucoup de rubans tricolores d'ici le printemps prochain.
Si les diverses
communautés locales s'interdisaient de s'occuper de tout et ne se prenait pas
pour la commune-providence ou la région-providence, l'imbroglio administratif
serait moindre, les dépenses locales diminueraient, et les impôts avec elle.
Les villes, libres de se
concurrencer et de devenir des paradis fiscaux, rendraient service à l'économie
locale et pourraient se consacrer au service de ceux qui sont réellement dans
le besoin. Mais, dira-t-on, la France n'est ni la Suisse ni même l'Allemagne.
Ce postulat interdit en effet tout discussion sur la décentralisation. Je
crains de ne l'avoir malmené.
D’après Jacques Garello