Coup de "gueule" d'un interne en Médecine à notre Ministre de la Santé
28 octobre 2012
Beaucoup de mensonges, beaucoup de mépris de la part de nos dirigeants, et surtout beaucoup d’inquiétude pour l’avenir.
Les débats des derniers jours ont permis de faire émerger des problématiques qui sont restées pendant 30 ans ...
Il est temps de faire une synthèse.
Concernant le secteur 2 :
La santé coute trop cher au patient, c’est un fait. Mais pourquoi?
Le reste à charge pour le patient est composé de 2 éléments :
Ce que l’Etat n’a jamais voulu rembourser, les tarifs ayant été bloqués il y a près de 30 ans (alors que le prix de la baguette de pain a été multiplié par 4 sur la même période et que l’inflation atteint près de 80% depuis 1980)
L’Etat s’est donc depuis très longtemps désengagé du coût de la santé.
Le reste représente ce que les mutuelles et complémentaires privées ne veulent plus rembourser.
Comment ne pas parler de privatisation de la santé, alors que les cotisations augmentent chaque année, pour des remboursements toujours moindres ?
Le problème des mutuelles et complémentaires privées est d’ailleurs très intéressant.
Elles réalisent des profits considérables dans une totale opacité.
Qui peut dire quel est le budget consacré par ces mutuelles en publicité (Cerise de Groupama, Jean Rochefort pour Amaguiz, les chorégraphies de la MAAF) ?
Il existe d’ailleurs plus de 880 contrats différents, c’est bien que le marché est juteux.
Et la tendance est à la personnalisation des contrats, qui ne font que diminuer les garanties pour s’adapter au budget des Français.
Sans doute faut-il être expert comptable pour savoir ce que représente au juste 100% du tarif sécu ? Et combien il restera à payer après une consultation, un soin dentaire ou des lunettes ?
Et qui peut dire quelle est la part des cotisations réellement consacrée au remboursement des patients ?
Dans la loi présentée à l’Assemblée Nationale la semaine prochaine, l’Etat prévoit de taxer tous les contrats d’assurance à 5%, Il n’a donc aucun intérêt à réguler ce marché.
Ce surcoût sera répercuté sur les cotisations (ils ne vont quand même pas rogner sur leurs bénéfices), rapportant par là même encore plus à l’Etat.
Beau, simple, machiavélique, efficace !
Bref payer toujours plus pour des remboursements toujours moindres, c’est une dérive à l’Américaine, une médecine à deux vitesses qui ne dit pas son nom.
Et un impôt supplémentaire déguisé…
Un vrai problème d’accès au soin aussi, puisqu’une mutuelle peut représenter jusqu’à 10% du budget d’un ménage et que ceux qui ne pourront plus payer ne pourront plus se soigner.
CQFD
Nous, pourtant au cœur du système de santé, nous n’avons pas notre mot à dire, puisqu’ils se sont organisés sans nous.
Concernant les dépassements d’honoraires :
Ce plan machiavélique étant bien rodé, ne restait plus qu’à trouver un coupable.
Et ce coupable, c’est Nous.
Pas le gouvernement qui en bloquant les tarifs il y a 30 ans a forcé les médecins à faire des dépassements, et l’Hôpital Public à être par nature déficitaire.
Pas les mutuelles et complémentaires qui dans un grand élan de philanthropie, ont décidées de rembourser le moins possible tout en taxant le plus possible.
Non nous, qui avons choisi cette profession uniquement par appât du gain, et qui dépassons non pour payer nos frais et vivre décemment, mais simplement par méchanceté et par goinfrerie.
Restait à le faire gober aux Français et ça n’allait pas être facile, vu que la plupart aime leurs médecins et sont content de trouver des Urgences ouvertes même le soir de Noël.
Alors tous les médias s’y sont mis, dans le champ lexical du « médecin voyou », du « truand » etc
Je vous conseille d’ailleurs le visionnage de « Etat de santé » avec Marisol Touraine, pour comprendre à quelle point cette manipulation médiatique est aboutie.
Il est des fois où l’impartialité journalistique doit s’effacer devant la recherche du bien commun, ou tout du moins d’une belle prime offerte par les mutuelles qui sponsorisent ces émissions.
Nous aurions provoqué la crise des subprimes ou réalisé l’introduction foireuse de Facebook en bourse que ça aurait été moins grave.
Mais Kerviel et « La Baleine » étaient des gens honnêtes, pas nous.
Nous avons donc été jetés en pâture, à l’opprobre et au déshonneur public.
Je propose d’ailleurs une lapidation collective afin d’expier nos fautes.
Nous exercions déjà dans des conditions très difficiles, et voilà qu’en plus on veut nous enlever la confiance de nos patients !
Peu importe de travailler cent heures par semaine, de ne pas respecter les repos de gardes, de ne pas avoir le temps de se former convenablement, tout ça pour un salaire de misère.
Ne montez pas les patients contre nous pour vous enrichir en toute discrétion.
Concernant la liberté d’installation :
Des quelques informations qui ont filtrées (Et oui une négociation sans savoir de quoi on parle au juste, avec autant de rétention d’information, ça n’est pas commun), je retiendrai deux articles
L’article 2 qui prévoit que chaque interne en médecine soit réquisitionné en troisième année d’internat pour aller exercer un an dans une maison de santé pluridisciplinaire afin « de nous sensibiliser à la problématique des déserts médicaux ».
Il est déjà très difficile de part notre métier de construire une vie personnelle épanouie, mais là je vous déconseille franchement de vous marier, d’avoir un enfant ou même d’acheter une maison avant d’avoir effectué votre « service médical obligatoire » !
Je vous conseille à ce sujet la lecture des « Carnets d’un jeune médecin » de Mikhail Boulgakov qui raconte son exil seul pendant deux ans dans une dispensaire du fin fond de la Sibérie, avec quelques livres de médecine et beaucoup d’improvisation.
Une belle leçon de vie, une expérience des plus formatrices sans doute, mais pour nous sensibiliser à ce problème, une plaquette d’information ou des mesures incitatives auraient suffi.
L’article 5 stipule qu’à partir de 2020, tout interne au terme de sa formation devra s’installer pour une durée de 5 ans dans un désert médical.
Après tout ce qu’ils ont fait pour nous, c’est un minimum…
Et si aucun de ces articles ne passe, ce dont je doute puisqu’ils seront proposés à l’Assemblée Nationale sans discussion, ils pourront toujours interdire l’installation en secteur 2 dans les régions sur-dotées et nous faire retomber dans ce merveilleux secteur 1 que le Monde nous envie.
Bref c’est l’Ardèche ou la misère, la Creuse ou le bâton.
Un avenir plus rose ?
De quoi rêve l’Etat ?
D’une expansion des mutuelles, puisqu’elles lui évitent de devoir rembourser les actes médicaux et lui rapportent de plus en plus par le biais de taxes sur les contrats.
De quoi rêvent les mutuelles et complémentaires de santé?
De racheter un maximum de cliniques et de nous salarier. Ainsi elles pourront maîtriser toute la chaine de la santé, être à la fois prestataires et rembourseurs.
Quoi de plus confortable que de pouvoir diminuer le salaire des médecins pour augmenter leurs profits ?
Et quoi de mieux que d’augmenter le prix des actes médicaux, pour que même la part qu’elles ne remboursent plus revienne quand même dans leurs poches ?
De quoi rêvent les patients ?
De pouvoir accéder à une médecine de qualité sans reste à charge.
Et si le dépassement d’honoraires est devenu aujourd’hui une nécessité économique, cette diminution du reste à charge passe par une revalorisation du secteur 1, un meilleur remboursement par les complémentaires et une baisse des cotisations des mutuelles.
De quoi rêvent les médecins ?
D’un peu de respect
Nous exerçons le plus beau métier du monde, mais c’est aussi un métier difficile.
Nous avons eu la chance d’être formés, et nous nous sentons responsables de notre population.
Mais nous ne nous sentons pas redevables vis à vis d’un Etat qui nous méprise, d’un Etat qui promet un service médical pour tous qu’il n’a même pas les moyens de payer.
Nous allons traverser une crise démographique terrible, nous serons un tiers de médecins de moins dans 10 ans. La population vieillit et nécessite plus de soins.
Cette situation va demander des sacrifices encore plus grands de notre part, et nous en sommes conscients.
Est-ce le meilleur moyen de nous y préparer ?
Nous accuser ? Nous démotiver ? Nous intimider ?
Et si nous n’acceptons pas vos conditions, préparez vous à un exode massif vers des pays qui nous reconnaissent à notre juste valeur (La rémunération étant une forme de reconnaissance, mais ce n’est pas la seule, l’encouragement des politiques et le regard bienveillant de la population étant une forme de récompense au moins aussi importante)
Bien sûr vos charters de médecins roumains rempliront un temps nos campagnes, mais ce serait très dommageable pour la population que nous avons promis de servir.
En un mot comme en cent, la coupe est pleine.
Vos accusations ne cacheront pas longtemps vos mensonges.
Vous partirez peut être dans quelques mois les poches pleines, mais nous avons 40 ans de carrière et des millions de patients à défendre.
Et la population française qui nous tient en haute estime (comme quoi la manipulation médiatique ne suffit pas à briser une relation de confiance) mérite cette médecine de qualité pour laquelle nous nous sommes si longuement formés.
Nous aurons du mal à nous défendre, nous sommes trop occupés (les programmes opératoires sont pleins jusqu’à fin novembre et une grève signifie des patients non opérés, avec les conséquences dramatiques que l’on imagine)
Nous ne laisserons pas nos patients mourir en victimes collatérales de vos errements.
Nous auront du mal à rester unis, nos modes d’exercices et nos motivations sont très différents.
Nous sommes trop mal formés à la politique et à l’économie pour prendre la pleine mesure de vos erreurs.
Vous n’êtes là que pour quelques mois (ministres, parlementaires, tout change si vite que l’Histoire ne retiendra même pas votre nom) mais s’il vous reste un peu de sens moral, ne rajoutez pas vos erreurs à toutes celles commises depuis trente ans.
Mais si le profit personnel vous aveugle, si votre impuissance passe par de petits arrangements à court terme, et si vous décidez de consommer le divorce entre la médecine française et la population, alors nous quitterons sans regret le système inique que vous aurez créé.
Nous ne sommes pas les prestataires d’un service que vous avez promis sans pouvoir l’assumer.
Nous sommes des êtres humains et nous soignons nos semblables avec passion et dévouement.
Ne nous enlevez pas l’envie de soigner, un jour vous aussi, vous aurez besoin de nous.
Je vous adresse, Madame la Ministre, Messieurs les dirigeants, l’expression de ma respectueuse considération.
Je vous adresse, chers Confrères, l’expression de mes salutations confraternelles.
Matthieu Cauchois
Interne en 6éme semestre d’ORL
CHU de Bordeaux, France
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